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Fédération canadienne de la fauneEnvironnement et Changement climatique Canada
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Description

L'anguille d'Amérique (Anguilla rostrata) est un poisson migrateur fascinant avec un cycle de vie très complexe. Comme le saumon, elle vit aussi bien dans l'eau douce que dans l'eau salée. Mais son cycle de vie est exactement le contraire de celui du saumon : l'anguille est une espèce thalassotoque (ou catadrome), née dans l'eau salée, qui migre ensuite vers l'eau douce pour y grandir et y atteindre sa maturité, avant de retourner dans l'eau salée pour y frayer (ou se reproduire) et mourir. L'anguille d'Amérique peut vivre jusqu’à 50 ans.


Ce poisson long et mince peut atteindre plus de 1 m de longueur et peser 7,5 kg. Les mâles ont tendance à être plus petits que les femelles, atteignant une taille d'environ 0,4 m. Avec leurs petites nageoires pectorales situées juste derrière leurs branchies, leur absence de nageoires pelviennes, leurs longues nageoires dorsales et ventrales, et la mince couche de mucus enrobant leurs écailles minuscules, les anguilles adultes ressemblent légèrement à des serpents visqueux, mais sont en fait de vrais poissons. Les anguilles adultes ont une coloration variée, de vert olive et brun à jaune verdâtre, avec un ventre gris clair ou blanc. Les femelles sont plus claires que les mâles.  Les femelles les plus grosses deviennent gris foncé ou argentées en vieillissant.


L'anguille d'Amérique est connue au Canada sous des noms divers, parmi lesquels : anguille américaine, anguille commune, anguille argentée, anguille jaune, civelle pigmentée, et easgann (en gaélique). Dans les langues autochtones, comme le Micmac, l'anguille d'Amérique est connue sous le nom de k’at ou g’at, les Algonquins l'appellent pimzi ou pimizì, les Ojibwés bimizi, les Cris Kinebikoinkosew, et les Sénécas goda:noh.


L'anguille d'Amérique est la seule représentante de son genre (ou groupe d'espèces apparentées) en Amérique du Nord, mais elle a une parente proche qui partage la même aire de reproduction : l'anguille d'Europe. Ces deux espèces ont des cycles de vie semblables, mais se retrouvent dans des systèmes d'eau douce distincts, sauf en Islande où ces deux espèces (et des hybrides, ou mélange des deux) cohabitent.

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Habitat et habitudes

 Zostères

Tout au long de son cycle de vie, l'anguille d'Amérique utilise une grande variété d'habitats. En fait, on pense qu'elle occupe la plus vaste gamme d'habitats parmi tous les poissons du monde! Alors que la plupart des anguilles passent la majeure partie de leur vie dans les lacs et les rivières d'eau douce, certaines demeurent dans les eaux salées ou saumâtres (où l'eau salée et l'eau douce se mélangent), près des côtes.

Lorsqu'elles sont jeunes ou de petite taille, et aussi pendant la journée, les anguilles se cachent parmi le substrat (roches, sable et boue), des tas de pierres et des débris de bois (comme des bûches et des branches) au fond de l'eau, ou encore parmi la végétation aquatique. Les anguilles s'enfouissent souvent dans le sable et la boue pour se cacher complètement. Dans les zones d'eau salée ou saumâtre, les anguilles fréquentent les eaux peu profondes et protégées du plateau continental, parfois parmi les prairies de zostères marines, des plantes marines.


Lorsqu'elles fraient, ou se reproduisent, toutes les anguilles d'Amérique, qu'elles soient parties vivre en eau douce ou non, repartent en mer jusqu'à une zone spécifique de l'océan Atlantique appelée mer des Sargasses. Cette zone d'eau chaude et calme est due à la circulation des courants océaniques qui créent un gyre, un courant marin où les algues flottent à la surface.


Pendant l'hiver, dans l'eau salée ou saumâtre, les anguilles trouvent refuge dans la boue au fond des estuaires et des baies, mais nous ne savons pas grand-chose sur les habitats d'eau douce des anguilles pendant cette saison. Certaines anguilles ont été observées hivernant à des profondeurs supérieures à 10 m. On pensait auparavant qu'elles passaient l'hiver dans des baies peu profondes. Lorsque la température de l'eau descend au-dessous de 5 °C, les anguilles s'enfouissent dans le substrat et entrent dans un état de torpeur, ou d'inactivité complète.


Les anguilles d'Amérique peuvent être la proie d'autres poissons et d'oiseaux à tout moment de leur cycle de vie, en eau douce comme en eau salée.

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Aire de répartition

 Distribution de l'anguille d'Amérique

Les anguilles d'Amérique ne fraient que dans la mer des Sargasses, une zone du sud de l'océan Atlantique Nord. Elles migrent vers des zones côtières et intérieures à mesure qu'elles grandissent.


Alors que certains individus demeurent dans les systèmes côtiers d'eau saumâtre ou salée toute leur vie, les anguilles d'Amérique se retrouvent principalement dans des habitats d'eau douce raccordés aux habitats d'eau salée, à l'intérieur des terres. Historiquement, ces habitats comprenaient, au Canada, tous les habitats d'eau douce, les estuaires et les eaux marines côtières accessibles reliés à l'océan Atlantique, jusqu'à la moitié sud de la côte du Labrador. Les anguilles d'Amérique ont été retrouvées à l'intérieur des terres, du bassin versant du Saint-Laurent jusqu'aux Grands Lacs, juste avant les chutes Niagara (bien qu'il soit possible que des anguilles aient été autrefois présentes dans le bassin des Grands Lacs). La densité d'anguilles dans une zone tend à diminuer à mesure qu'on s'éloigne de l'océan et que de moins en moins d'anguilles migrent en amont. Fait intéressant, seules des femelles ont été trouvées à l'intérieur des terres en Ontario et dans l'ouest du Québec, et ce sont les plus grandes et les plus fertiles au monde. Plus près de l'Atlantique, de plus petites anguilles mâles et femelles semblent vivre dans des populations mixtes. Les scientifiques pensent que cette distribution est liée à la génétique des anguilles et peut-être à des processus de sélection naturelle.


À l'échelle internationale, la distribution des anguilles dans les eaux douces s'étend de l'ouest du Groenland et de l'Islande jusqu'au nord du Panama et même au Brésil.

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Alimentation

Le régime alimentaire des anguilles évolue à mesure qu'elles grandissent et gagnent en maturité. Dans leur phase larvaire initiale, elles consomment des particules dans la colonne d'eau. À mesure qu'elles grandissent, tout au long de leur migration, elles commencent à se nourrir de petites larves d'insectes ou d'autres invertébrés. Lorsqu'elles atteignent leur habitat principal, où elles passent la majeure partie de leur vie, les anguilles d'Amérique deviennent des omnivores nocturnes, et mangent des poissons, des mollusques, des crustacés, des larves d'insectes aquatiques, des insectes vivant à la surface de l'eau, des vers et des plantes. Pendant une grande partie de leur vie, les écrevisses sont leur proie préférée. Elles choisissent généralement de petites proies qui peuvent être facilement attaquées et elles sont considérées comme des prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire. Elles cessent de s'alimenter l'hiver, et également lorsqu'elles atteignent leur maturité sexuelle et s'apprêtent à migrer vers l'océan.

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Reproduction

 Cycle de vie de l'anguille d'Amérique

La vie complexe des anguilles d'Amérique commence et se termine dans la mer des Sargasses. De la fin du printemps jusqu'à la fin de l'automne, les anguilles sexuellement matures du Canada entament leur migration vers l'océan afin de frayer, ou se reproduire, parcourant alors une distance pouvant atteindre jusqu'à 5500 km. Chaque individu ne fraie qu'une seule fois dans sa vie, et ce frai a lieu de la fin de l'hiver au début du printemps dans la mer des Sargasses. Les femelles peuvent pondre jusqu'à 22 millions d'œufs, bien que la norme soit de 0,5 à 4 millions d'œufs. Les scientifiques ont découvert que les femelles de plus grande taille, comme celles qui se retrouvent le plus à l'intérieur des terres, sont souvent plus fertiles, ce qui les rend très importantes pour la prochaine génération. Les anguilles mâles fécondent les œufs une fois qu'ils sont pondus. Sur les millions d'œufs pondus et fécondés, seul un faible pourcentage atteindra la prochaine étape du cycle de vie.


Au bout d'environ une semaine, les œufs fécondés survivants éclosent et les larves naissent. Ces larves sont appelées leptocéphales. Elles sont transparentes et ont la forme d'une feuille de saule. Ces larves quitteront la mer des Sargasses, dérivant passivement (sans nager) grâce au Gulf Stream (courant du Golfe), l'un des principaux courants de l'océan Atlantique, pendant une durée de 7 à 12 mois. Elles se transforment en civelles transparentes lorsqu'elles atteignent 55 à 65 mm de longueur et à mesure qu'elles approchent des eaux océaniques peu profondes du plateau continental. Les civelles ressemblent à des anguilles adultes, mais sont beaucoup plus petites, et sont claires et transparentes, comme leur nom l’indique. À mesure qu'elles s'approchent du rivage, elles s'assombrissent progressivement, se déplacent de la colonne d'eau vers le substrat du fond, et deviennent des civelles pigmentées.

Pendant une période de trois mois à quelques années, les civelles pigmentées migrent vers des zones plus proches des rivages ou des réseaux hydrographiques. Quand elles atteignent leur destination, elles deviennent des anguilles immatures, ou des anguilles jaunes. Comme leur nom l'indique, elles sont de couleur jaunâtre ou crème. Les anguilles jaunes qui restent dans l'eau saumâtre ou salée auront un cycle de vie beaucoup plus rapide (environ 9 ans) que celles qui migrent plus à l'intérieur des terres vers des habitats d'eau douce (jusqu'à 50 ans). C'est durant cette phase de leur vie qu'elles grandissent le plus, et que les anguilles mâles et femelles se différencient. Quand elles deviennent des anguilles adultes et atteignent leur maturité sexuelle, elles sont appelées anguilles argentées. Alors qu'elles s'apprêtent à migrer de nouveau vers la mer des Sargasses où elles sont nées, leur apparence physique évolue afin de leur permettre d'économiser de l'énergie pour cette longue nage. À leur arrivée, elles fraient, puis meurent. Les scientifiques ont constaté qu'aucune anguille ne revient dans les habitats d'eau douce après avoir frayé.

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Conservation

 
 American Eel report from the Algonquins of Ontario

L'anguille d'Amérique est considérée une espèce indicatrice : la santé de ses populations est une bonne indication de l'intégrité d'un écosystème ou d'un habitat. Si les anguilles se portent bien, il est probable que l'ensemble des habitats se porte bien aussi. Mais certaines populations ne vont pas très bien, malheureusement, et ont diminué de façon spectaculaire au cours du siècle dernier. De ce fait, l'espèce a été évaluée comme étant menacée par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) en 2012. Elle ne dispose actuellement d'aucun statut en vertu de la Loi sur les espèces en péril fédérale, de sorte qu'elle n'est pas légalement une espèce en péril au Canada; mais elle dispose de statuts différents dans certaines provinces, y compris dans l'Ontario, où elle a été classée comme étant en voie de disparition et où elle est désormais protégée en vertu de la Loi sur les espèces en voie de disparition de l'Ontario.


Les menaces responsables de ce déclin à l'intérieur des terres et dans les régions côtières du Canada sont dues aux modifications de leur habitat, à la présence de plusieurs barrages et turbines sur les rivières, à la récolte historique de l'espèce, à la présence de contaminants et de polluants dans l'eau, et à un parasite exotique susceptible de provoquer des problèmes de santé.


C'est plus à l'intérieur des terres que ce déclin est le plus marqué, en raison des barrages et des turbines qui sont particulièrement problématiques pour les anguilles. Ces structures deviennent des obstacles majeurs à leur migration dans le fleuve Saint-Laurent et la rivière des Outaouais, par exemple. Dans certaines régions, 98,8 % de la population historique a maintenant disparu. Les populations vivant plus près de l'océan s'en tirent mieux, car elles rencontrent moins d'obstacles à leur migration.


Dans leur zone de fraie de la mer des Sargasses, et le long de leur parcours de migration, les menaces qui se présentent aux anguilles incluent des modifications des conditions océaniques liées aux changements climatiques et à la pollution.

Les scientifiques ont encore beaucoup à découvrir au sujet des anguilles, mais de nombreux projets sont en cours pour combler ces lacunes. Des scientifiques canadiens ont récemment étudié la génétique des anguilles, qui a fourni des renseignements très importants pour leur conservation. À l'heure actuelle, étant donné que certaines anguilles juvéniles ont été trouvées en amont de barrages, les scientifiques ont besoin de savoir comment elles ont réussi à contourner ces obstacles majeurs. Certaines anguilles ont été prélevées sur une échelle à anguilles du fleuve Saint-Laurent et transférées en amont dans la rivière des Outaouais. La Fédération canadienne de la faune a équipé certaines d'entre elles d'émetteurs acoustiques, afin de suivre leurs déplacements. Cette technologie aidera à déterminer où installer des échelles à poissons, qui permettraient aux anguilles de contourner les barrages. Dans d'autres domaines, des négociations entreprises entre le gouvernement, les organisations de protection de la nature et les compagnies hydroélectriques en Ontario et au Québec ont mené à l'élaboration de plans d'action visant à réduire la mortalité liée aux barrages avec l'installation d'échelles et de passes à poissons. D'autres solutions en place au niveau gouvernemental consistent à fermer les pêcheries d'anguilles, autrefois très productives en Ontario, et à réduire le nombre d'anguilles capturées de 50 % au Québec.


Les scientifiques et les gouvernements travaillent également avec des groupes autochtones afin d'obtenir plus d'informations sur les anguilles. C'est ce qu'on appelle les connaissances traditionnelles autochtones, ou CTA. L'obtention de données supplémentaires sur l'aire de répartition historique et les habitudes des anguilles par l'intermédiaire des CTA est essentielle, car ces données permettent de renforcer les connaissances au sujet des anguilles et de donner des indications sur les lieux où les efforts de conservation doivent se concentrer, de même que la manière dont ceux-ci doivent s'exercer. Divers clubs locaux, conseils d'intendance et organisations sont également très actifs en ce qui concerne la conservation des anguilles. Ils apportent leur contribution par la surveillance, la réalisation d'inventaires et l'étude de leurs populations locales d'anguilles.

L'anguille d'Amérique n'était pas autrefois qu'une importante ressource en matière de pêche dans certaines régions de l'est du Canada, elle avait aussi une importance capitale pour certains peuples autochtones. Elle est sacrée pour les Algonquins et fait partie de leur culture depuis des milliers d'années, étant donné qu'il s'agissait autrefois de l'espèce la plus abondante dans le bassin versant de la rivière des Outaouais. Les Algonquins perçoivent les anguilles comme une source de nourriture, de médicaments et d'inspiration spirituelle. Mais la conservation de l'anguille d'Amérique n'est pas seulement importante pour les humains, elle est vitale pour une variété d'oiseaux, de poissons et de mammifères, car ce poisson joue un rôle important dans la biodiversité et les écosystèmes aquatiques du Canada.

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Ce que vous pouvez faire

Vous pouvez aussi aider l'anguille d'Amérique en communiquant avec une organisation locale qui vise à protéger votre bassin hydrographique ou votre rivière, afin de participer à ses activités et initiatives de science citoyenne. Si vous trouvez une anguille ou en attrapez une accidentellement, morte ou vivante, vous devez la signaler à votre bureau local des ressources naturelles. Cela fournira des données très importantes sur les populations d'anguilles aux scientifiques!

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Ressources

IUCN Redlist, The American Eel (en anglais seulement)

Le Registre des espèces en péril, L'anguille d'Amérique

Pêches et Océans, L'anguille d'Amérique

Agonquians of Ontario, Returning Kichisippi Pimisi, the American Eel, to the Ottawa River (en anglais seulement)

Texte par Annie Langlois, MSc Biologie

Révisé par Nicolas Lapointe, Biologiste de la conservaiton senior, Écologie des eaux douces, Fédération canadienne de la faune

© Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre de l’Environnement, 2017. Tous droits réservés.