Paysage
Fédération canadienne de la fauneEnvironnement et Changement climatique Canada
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Christine

L’anecdote qui suit est survenue il y a quelques années. Quand j’y pense aujourd’hui j’en souris encore, bien sûr, mais j’en ressens aussi un soupçon de culpabilité. Voici donc :

Je possède une sorte de don (ou de talent?), c’est celui d’imiter avec facilité les différents cris que font les animaux – cheval, vache, poule, chien, chat, cochon, oie blanche, loup, coyote, etc – et il me suffit parfois d’entendre un animal une seule fois pour réussir à imiter son langage. Drôle de don me direz-vous? J’en conviens, surtout de la part d’une femme de mon âge (enfin…je veux dire plus toute jeune; d’ailleurs, je n’en fais pas étalage, même mes amis ne connaissent pas ce don que j’ai). Donc, derrière chez moi se trouve un très grand et très vieux bouleau. Les premières années suivant mon déménagement ici, j’ai vu régulièrement cet arbre vénérable se couvrir de dizaines (de centaines!) de corneilles le soir, à l’heure bleue (à la tombée du jour). Je l’ai baptisé « l’arbre aux corneilles » puisqu’il semblait servir de dortoir favori aux corneilles de la région. J’ai vu cet arbre parfois tellement chargé de corneilles qu’il en devenait une immense boule de points noirs se détachant sur le bleu profond que revêt le ciel avant l’heure du loup. Un soir, j’étais donc sur la galerie, à l’heure bleue justement, et je regardais avec plaisir le grand bouleau devenir graduellement l’immense boule-dortoir que je connaissais si bien. Les corneilles achevaient justement de s’installer (ce qui prend un certain temps, étant donné qu’elles y viennent se percher à tour de rôle) lorsqu’il me vint une idée…….Et si je leur disais bonne nuit dans leur langage? Réagiraient-elles? Parce que bien sûr, avec le don que j’ai, imiter le croassement de la corneille est un jeu d’enfant. Sitôt pensé, sitôt fait. Je place mes mains en porte-voix et, tournée vers l’arbre, je lance mon plus beau « croâ, croâ ». Instantanément, le ciel autour de l’arbre explose littéralement en une bourrasque d’éclats noirs tourbillonnants. Toutes les corneilles se sont envolées d’un coup et, dans un concert de croassements, se sont mises à faire le tour de l’arbre, toutes ensemble et dans le même sens! Éberluée, j’ai regardé ce cyclone croassant faire le tour de l’arbre plusieurs fois. Enfin, elles se sont perchées à nouveau, à tour de rôle, et ont finalement repris leur place dans le bouleau. Toute cette manœuvre a pris au moins cinq grosses minutes (Imaginez! Quelques centaines de corneilles se posant à tour de rôle, ça prend du temps!). J’étais stupéfaite! Et je me suis demandé : « Mais qu’est-ce que j’ai bien pu leur dire? » Parce que si mes imitations sonnent bien aux oreilles des humains, je n’ai pas la prétention de savoir « parler » aux animaux, ça va de soi. Et de toute évidence, j’avais dû leur dire quelque chose de pas du tout anodin pour avoir suscité une telle réaction unanime? À moins que ce ne soit que le simple fruit du hasard? Je les laisse donc finir de s’installer et, mains en porte-voix, je leur lance à nouveau mon appel, question de vérifier que je n’ai pas rêvé. Et vlan! Même manège! Toutes les corneilles décollent en un feu d’artifice noir et se mettent à refaire le tour de l’arbre en croassant, plusieurs fois, pour finalement se percher à nouveau, chacune son tour. J’ai répété l’expérience trois fois (le tout a duré près d’une bonne demi-heure) et, chaque fois, le scénario est resté le même : toutes les corneilles, en un parfait synchronisme, ont fait quelquefois le tour de l’arbre, en croassant, avant de revenir se percher une à une jusqu’à ce que tout le monde ait repris sa place. J’ai été vraiment éberluée par cette expérience que je n’ai plus répétée (quand même, je ne voulais pas trop les harceler), jusqu’au jour où…

Quelques semaines plus tard, un ami, que je n’ai pas vu depuis un bout de temps, vient me rendre visite. Comme d’habitude, il passe par l’escalier de derrière (l’entrée des habitués de la maison) où je l’accueille avec plaisir. Après les bisous d’usage sur les deux joues, il me dit, en pointant le grand bouleau :
- Wow! As-tu vu les corneilles?! Y’en a des centaines!
Je réponds :
- Ben oui, sont là tous les soirs. J’pense que c’t’arbre-là c’est la chambre à coucher des corneilles du quartier.
- Ah ouin?
(Et là il me vient une idée)
- Ben oui. Pis sont apprivoisées en plus.
Là, je laisse la phrase faire son effet. Mon ami me regarde sans comprendre.
- Ben oui, j’les ai apprivoisées. À force de venir se percher ici, avec le temps, les corneilles se sont habituées à moi. Asteure, j’peux leur demander c’que j’veux.
Mon ami me regarde, l’air de dire : « Coudonc, j’ai-tu une poignée dans l’dos? »)
- J’te l’dis. Veux-tu voir?
Et sans attendre la réponse, je lui dis :
- J’vas leur demander de s’envoler toutes en même temps, pis de tourner ensemble autour de l’arbre quatre-cinq fois, en croassant, pis de revenir se percher dans l’arbre à tour de rôle. Check ben ça.

Puis là je me tourne vers l’arbre, je place mes mains en porte-voix (un peu anxieuse quand même, tout à coup que ça ne marche plus?) et je lance mon plus beau « croâ, croâ » de toute la force de mes poumons. Et vlan! La magie opère encore! Le ciel explose en une constellation de plumes noires qui tournoient, en croassant, autour du vieux bouleau.

Puis-je vous dire que mon ami en est resté comme deux ronds de flan? Il était tellement stupéfait qu’il est resté là, yeux écarquillés, bouche ouverte, sans voix, tandis que, quelques minutes plus tard, les corneilles retrouvaient tranquillement leur perchoir, à tour de rôle. Pas besoin de vous dire que j’étais fière de mon coup. Après avoir bien ri, je lui ai tout avoué et lui ai raconté l’histoire de « l’arbre à corneilles ».

Pis vous savez quoi? Après ce dernier épisode, les corneilles ne sont plus jamais revenues dormir sur le vieux bouleau. Probablement en ont-elle eu marre de se faire déranger par une drôlesse d’homo sapiens qui n’avait rien de mieux à faire que de se prendre pour l’une d’entre elles.

Elles me manquent un peu, quand même. Récemment, j’ai vu un corbeau venir se percher à deux reprises dans le vieux bouleau. À suivre…?

Christine
Lévis, Quebec